"Et alors, vous attendez un petit gars ou une princesse?"
Après l’infâme test d’absorption du glucose ce matin (75 grammes, 3 prises de sang, deux heures sur une chaise inconfortable, le 2ème tome des Rêveurs d’Eddings terminé et un gros bleu au bras), le prochain rendez-vous médical est un poil plus sympa : échographie mercredi. Je sais bien qu’elle sert essentiellement à vérifier la conformité de Junior aux standards médicaux (poids, taille, quantité et forme des organes…) mais le seul truc qui intéresse notre entourage c’est le sexe. Bande de pervers !
Alors oui, c’est vrai que de savoir si c’est un garçon ou une fille, ça permet de mieux se projeter, de cerner un peu plus cet inconnu avec qui je vis 24/24 depuis presque 5 mois, on n’aura plus d’excuse pour se mettre au choix du prénom (même si on peut changer d’avis jusqu’à la déclaration de naissance et que de toute façon je ne suis pas certaine d’avoir envie de le diffuser à la famille ou aux voisins, une fois le bébé né, ils n’oseront plus critiquer, enfin j’espère).
Ça permettra à ma mère de passer à des couleurs différentes au tricot, ceci dit je ne vois pas pourquoi elle refuse de tricoter du orange ou du rouge qui ne me semblent pas des couleurs pour fille ou pour garçon, il parait que c’est trop agressif pour un bébé. J’ose à peine imaginer sa tête quand elle saura que j’ai envie de vêtements noirs (bon, pas un total look non plus mais une combinaison noire sur un body blanc ça peut faire très chic).
Mais ce qui m’embête le plus, c’est que j’ai peur de le/la traiter différemment une fois que je saurai dans quelle case le/la ranger. Est-ce que je saurai résister aux sirènes du « il pleure, c’est une colère de petit dur» ou « elle pleure, c’est un caprice de chieuse », aux vêtements/meubles/jouets roses ou bleus, au conditionnement, à la pression sociale pour en faire une petite princesse ou un petit pirate ?
Pour moi, déjà j’ai du mal. Par exemple, s’épiler, ça me fait un mal de chien, je ne me trouve pas immonde avec des poils, le Koala s’en fout (surtout depuis le jour où je lui ai épilé le dos pour la première fois et qu’il a compris ce que « souffrir pour être belle » voulait vraiment dire) mais si je dois mettre une jupe ou un débardeur, je m’oblige à cette torture parce que je n’ai pas le courage d’affronter le regard désapprobateur des autres. Par contre, l’injonction de porter des talons qui font des belles jambes mais massacrent le dos et les pieds, ça j’ai jamais eu de peine à y résister.
De quelle partie de ce conditionnement genré serai-je capable de protéger Junior pour en faire un individu libre dans ses choix ? (et je ne parle même pas de mes troubles alimentaires, rien que d’y penser j’ai envie de me jeter par la fenêtre, comment pourrais-je seulement envisager d’élever un enfant alors que je n’arrive pas à vivre sereinement ma relation à la nourriture et à mon corps ?) Comment éviter que la famille, les amis, les voisins contrarient mes plans sans sembler agressive ou folle?
Oh, attendez, je crois que je viens de trouver l’origine de toutes ces plaques rouges, boutons et autres irritations de peau, c’est juste mon fameux eczéma de stress qui me sert de soupape pour éviter de craquer à force de me prendre la tête.
Et de toute façon, je sais que dès que j’entrerai dans la salle et que l’écran s’allumera, ça sera la première question que je poserai, j’ai toujours été du genre à ouvrir un roman policier à la dernière page pour connaitre le nom du meurtrier, je ne supporte pas le suspens.